Le projet


Projet 4L
                          (titre usuel et non-contractuel)
         (devenu Joséphine)


réalisé par les patients des ateliers
thérapeutiques de l’hôpital Pierre Janet,
assistés de Marie-Annick Renault, infirmière
 et Jonathan Lebourg, artiste intervenant.


 






Projet 4L / un projet artistique


                                   Dans l'enceinte de l’hôpital psychiatrique Pierre Janet du Havre, une équipe de mécanos (composée de patients, Marie-Annick Renault, infirmière et Jonathan Lebourg, artiste) s'est lancée depuis mi-juin 2011 dans la réalisation de leur propre Renault 4L.  Mais ce n'est pas qu'une simple voiture. D'ailleurs, ce n'est même pas une voiture.



                           Avant tout, ce projet est la suite logique d'une aventure artistique et humaine débutée 2 ans auparavant lorsque 2 professeurs de l'école d'art du Havre, accompagnés d'étudiants et anciens étudiants devenus jeunes artistes (dont je fais partie) prirent possession d'une annexe abandonnée de l’hôpital afin d'interroger et expérimenter les liens parfois si proches entre art et folie. Plusieurs expositions y furent présentées à un public hétéroclite (patients, personnels hospitaliers, étudiants et enseignants de l'école d'art) et cette résidence se conclût, sous l’impulsion de Jean Luc Moulène, artiste reconnu internationalement, par une présentation de nos travaux au Musée Malraux en mars 2011. Durant cette période, mon souhait de travailler en lien étroit avec le personnel et les patients de l'hôpital à toujours été là mais a du attendre la fin pour se confirmer. Une première tentative de réalisation participative fut un lancer collectif d'avions en papier, un envol au-delà les frontières de l'établissement , un espoir d'aller plus loin. (image 1)
  
            Puis l'exposition à Malraux fut enfin l'occasion de mettre en place un véritable travail de groupe avec les patients. Pour une première rencontre, l'essentiel était d 'établir le dialogue. "Dialogue" deviendra même le titre que portera le collage commun que nous avons réalisé : dialoguant, échangeant, plaisantant, sur un support commun, avec des images à la place des mots, de la colle à la place des virgules. Ce moment fut une réussite plastique mais surtout humaine : le dialogue était établi. (image 2)






                       
                        C'est alors que pouvait se profiler la possibilité d'un travail collectif plus abouti et réfléchi de concert. Et c'est donc dans cette optique que je revins vers eux leur proposer un nouveau projet qu on allait définir ensemble. Pour cela, je proposais de venir avec mon bagage et les laisser se l'approprier. 2 séances de brainstorming suffirent alors à établir les grandes lignes du projet : réaliser une grande boîte en carton en forme de Renault 4L à l'échelle 1.


                        Pourquoi une 4L ? Parce qu'une Rolls Royce, c'est peut-être un peu "too much"... Ou plus sérieusement, et ce au-delà de l'importance de ce modèle dans l'imagerie collective, au-delà de l'éventuelle influence sur le groupe des travaux de Chris Gilmour, cette voiture possède un lien fort et particulier avec Janet et ses occupants.En effet, la 4L fut la voiture-à-tout-faire de l'établissement durant de nombreuses années et la plupart des patients concernés l'ont connu (et ont même eu leur propre 4L). Elle était surtout le véhicule qui faisait le lien vers l'extérieur, tel un vecteur social. Plus que la simple automobile utile, la 4L reste chargée d'histoires, plus ou moins personnelles, et restera un symbole des objectifs de l'institution : ramener les patients à une vie sociale à l'extérieur de Janet(avec les bâtiments comme carrosserie et les soignants comme moteur). Par un biais artistique, notre 4L a les mêmes ambitions : sortir.

                        Ce projet est alors la reconstruction d'une possibilité de s'extérioriser. Avec un peu de chacun à l'intérieur... Et le fruit d'un travail commun qui se pense et se repanse.

                        Pourquoi une boîte en carton ? Alors là autant dire que c'est ma faute... Ou plus sérieusement, les patients ont compris mieux que moi le travail que j entreprends. Mon bagage, ce sont des boîtes en carton toujours réadaptables et qui vivent, et revivent au grè des agencements spatiaux proposés sans perdre de vue la part autobiographique hétérogène (image 3). Avec le carton comme matière première ; comme matière qui se déplace. Le carton n est pas qu une matière "pas chère" (et tant mieux!!) ; c'est un matériau aux possibilités constructives fortes mais surtout le carton veut dire : "déménagement", "mouvement", "changement". Des mots que je mets entre guillemets parce qu ils peuvent être intenses dans certaines structures, celle-ci en particulier.







Projet 4L / un projet thérapeutique


                        Les tâches d'un infirmier sont multiples et variées. Il peut exercer dans des lieux aussi différents qu'une salle de soins, un atelier à visée thérapeutique, une structure intra-hospitalière, extra-hospitalière, ou à domicile. L’infirmière est garante du cadre thérapeutique. Le respect de chaque patient dans son individualité, mais aussi dans l’expression de ses symptômes, liés à la pathologie, l’observation, l’écoute, la disponibilité, sont indispensables au bon déroulement de l atelier.
                        L’année 2011 fête le cinquantenaire de la Renault4 (4L). Certains de nos patients travaillaient et possédaient une 4L. D’autres l’ont connue enfant comme voiture familiale ou un oncle, un ami. Parler de la 4L, c’est parler de l’enfance, parler de la nostalgie, c’est le rapport au temps  passé (le temps chez le patient psychotique est figé), c’est parler aussi du temps présent avec la création des maquettes à l’échelle 1/10ème, de l engagement dans le temps futur que représente la réalisation de cette voiture.                        

Décret du 11 février 2002
            Le rôle infirmier prend en compte la personne dans sa globalité. Il vise à rétablir l'intégrité physique et psychique de l'individu, à découvrir et comprendre ses difficultés et à lui donner les moyens de les résoudre.


                        Dans un cadre rassurant, il faut aussi savoir poser des limites, être disponible, cadrant tout en laissant s'exprimer le patient et trouver ainsi une bonne distance. Le professionnel exerçant en psychiatrie se trouve confronté à une population de patients qui, tout en présentant les symptômes rattachés à des pathologies identiques, sont uniques dans leur histoire familiale. Le repli autistique, l’anhédonie : le soignant va impulser, proposer, faire avec, pour lutter contre cet apragmatisme et cette absence de plaisir et de désir tout en respectant l’espace psychique du patient.


                        Le repli autistique, le délire, l’apragmatisme, l’ambivalence sont des symptômes invalidant freinant  l’exécution  de la création. La relation à « l’Autre » est perturbée et le support des plans de la 4L fourni par l’artiste met alors un cadre à la création et permet l’empreinte de chacun dans un travail commun, du début de la création jusque la fin. L’artiste amène un cadre artistique, le soignant, le cadre thérapeutique.

                        L’individualité  de chacun au sein du groupe est respectée, et les patients arrivent  vers un travail  collectif. La présence (permanence) du soignant auprès du patient permet de répondre à ses demandes. L’infirmière travaille  bien sûr avec les salles de soins.

                        Au sein de l’atelier des valeurs telles que la confiance, l’entraide, la convivialité, la bonne humeur favorisent la capacité à construire du lien. Nous avons un contact privilégié durant la séance et pouvons observer la thymie des patients, ou leurs troubles de la personnalité, la manifestation des thèmes délirants et avons la possibilité d’accompagner chacun à la rencontre de l’autre.


                                   Le dialogue commencé lors du premier travail (exposition au Musée Malraux du Havre exposition « transfert ») se poursuit. Une confiance  et complicité avec l’artiste est née, une revalorisation de leur image, une réelle dynamique anime l’atelier. Les patients prennent du plaisir à décorer leur voiture, ils ramènent chacun tantôt un bout de tissus, tantôt du papier alu, et des échanges humoristiques et remplis de gaîté fusent dans l’atelier. Cette aventure continue en dehors de l atelier et les patients échangent  des astuces, pour la réalisation de leur voiture. Le responsable du service transport se « prend au jeu » et construit lui aussi sa propre 4L. Deux patients arpentent les rues aux alentours et nous ramènent tous les grands cartons qu’ils trouvent. Un autre, nous a amené à l’atelier toutes les revues techniques, et doit venir un après midi avec sa propre 4L, il est passionné par cette voiture .Des collègues passent régulièrement à l’atelier pour suivre l’évolution de ce projet.
                       
                        Une véritable émulation s’est créée autour de cette future naissance !!!

                        Pendant ce temps, il n’y a pas ou peu d’angoisse, moins de délire, et la concentration et l’attention sont sollicitées. Le seuil d’angoisse baisse, le patient délire moins ou pas pendant les séances et est directement confronté à la matière qui donne elle-même sa loi. Il est confronté à la réalité. Le soignant amène le patient à être acteur de ses soins, acteur pour lui, de ce qui se passe pour lui, afin d’accéder à un équilibre lui assurant un confort de vie et une meilleure réinsertion dans un milieu social.

                        L’hôpital  est en quelque sorte une enveloppe contenante qui va aider le patient à se structurer. Tout le travail va consister à l’accompagnement du dedans vers le dehors.



                        Je m’attache à ce que l’atelier peinture soit un contenant sécurisant, chaleureux, convivial, respectueux : un cadre rassurant, une espèce d’écorce  comme pourrait le décrire Hundertwasser, artiste et architecte autrichien, (prenant l’image d’un oignon qui a plusieurs peaux), une limite où le patient peut se rassembler, se structurer. Ainsi en accompagnant le patient, cette symbolique de cette voiture qui naît dans un atelier et va franchir les portes de l’hôpital (une peau) pour aller vers le dehors qui fait si peur à nos patients. Les amener en même temps, progressivement vers la sortie ou une prise d’autonomie plus importante serait une victoire.La 4L fait ce lien entre l’intérieur et extérieur.





Projet 4L / un projet concret

    Nous sommes fin novembre 2011 lorsque nous terminons cette présentation et le projet est déjà sur les rails (ou plutôt sur la route) de puis plusieurs mois déjà. En effet, afin de permettre aux patients de mieux appréhender la matière et ses spécificités et ainsi donner à chacun une motivation individuelle à la réalisation de ce projet collectif, nous nous sommes d’abord lancés, au début de l’été, dans la réalisation de maquettes à plus petite échelle (environ 1/10ème) que chacun personnalise, sans contraintes, au gré de ses envies. Cette étape a permis aux patients de se rendre compte des qualités structurelles et plastiques du carton. mais aussi de mettre en avant les diverses difficultés que l’on rencontreraient ensuite lors du passage à l’échelle 1.
    Aujourd’hui, la quasi-totalité des “petites” sont terminés ou en phase de l’être et nous avons commencé la “grande” depuis un mois maintenant. Toujours dans la bonne humeur, le travail d’équipe s’est mis en place naturellement, chacun trouvant sa place au sein de cette équipe de mécanos motivés et enthousiastes.

   Il reste cependant difficile de dater la fin de cette construction et aucune date butoir n'est fixée ; l'essentiel étant d'aller au bout, de réaliser un objet artistique de qualité et ce sans contraintes de temps.
   Viendra ensuite le temps de la balader selon les possibilités de mise en place de son transport mais cela reste à déterminer...




5 commentaires:

  1. Super projet très ambitieux qui commence doucement à voir le jour félicitation à toute l'équipe pour ce travail d'orfèvre ! J'ai hâte de votre le bijoux!

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  2. BRUNO :ça y est j'ai fait un tour mais encore complet. faut que ça continue d'avancer surtout l'essieu arriere

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  3. Ténacité encore et encore malgré tout

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  4. très beau projet ,beaucoup de courage car voyager en 4 L ce ne sont pas des vacances car côté confort elle est différente de celle d'une DS

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  5. La direction de Renault a t'elle eu contact avec ce projet passionnant?

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